Le nouvel habitat naturel: comment la biophilie modifie notre manière de travailler
Pendant des centaines de milliers d'années, les hommes étaient nomades et parcouraient les plaines herbeuses, les forêts denses et les montagnes accidentées du monde entier. Ils étaient enracinés dans la nature et dépendaient de celle-ci pour survivre. Ils suivaient les grands troupeaux qui traversaient de magnifiques et paisibles paysages, s'arrêtant uniquement pour établir des camps provisoires lorsque les troupeaux se reposaient et erraient sur les terres sauvages.
À cette époque, les grands espaces étaient notre habitat naturel. Celui dans lequel nous vivions et prospérions. C'est ce qui a développé un lien biologique profondément ancré en nous, un lien toujours existant chez nous en tant qu'espèce.
Revenons à notre époque où tout a changé. La société agraire s'est transformée en une société industrielle, qui a elle-même muté en société technologique. Les villages se sont transformés en villes, et les villes sont devenues des métropoles. En près de 10 000 ans, l'environnement dans lequel nous vivons est passé d'un monde entièrement naturel à un monde presque exclusivement artificiel. Malgré tous ces changements d'environnement, une chose est restée immuable : le lien que nous avons développé avec la nature.

« Si notre monde n'a plus rien à voir avec notre environnement ancestral, nos règles biologiques continuent de s'appliquer », déclare Nikil Saval, auteur d’un ouvrage sur l’histoire secrète des lieux de travail (Cubed: A Secret History of the Workplace). « Nous sommes programmés pour avoir besoin du monde naturel ».
Mais les temps ont changé ! Aujourd'hui, nous passons en moyenne 90 % de notre temps à l'intérieur. Cette simple statistique souligne un bouleversement de notre environnement quotidien sur une période de temps relativement courte. Et bien entendu, les problèmes n'ont cessé de s'accumuler alors que nous évoluons et nous adaptons à ces nouveaux habitats intérieurs. En voici quelques-uns :
- syndrome du bâtiment malsain
- perturbations du rythme circadien
- augmentation du risque de diabète
- augmentation du risque de maladie cardiaque
- augmentation du risque de dépression
On ne peut nier que le bureau moderne est une amélioration majeure par rapport aux prairies et usines d'autrefois. L’open-space a en effet créé un environnement de travail plus collaboratif et l’évolution de la technologie continue de rendre les travailleurs plus connectés et plus productifs. L'introduction de techniques de construction durables et d'innovations dans le domaine de l'équipement a en outre amélioré l'efficacité énergétique des bâtiments et les a rendus plus écologiques que jamais. Mais malgré tous ces progrès, les administrateurs de bureau, et d'environnements bâtis en général, doivent désormais réaliser pleinement les avantages offerts par les constructions améliorant les occupants qui y travaillent.
« Des preuves irréfutables démontrent que le design d'un bureau impacte la santé, le bien-être et la productivité de ses occupants » souligne un rapport du Conseil mondial du bâtiment durable (World Green Building Council). « Mais cela n'a pas encore eu d'influence majeure sur le secteur immobilier et ne se traduit pas encore dans les décisions en matière de design, de finance et de location. Et cela est loin d’être une préoccupation dans toutes les parties du monde. »
Nous avons attendu longtemps, mais les temps changent. Une tendance notable continue ainsi de se développer : celle d'un design de bureau (biophilie architecture) qui tient compte de ses occupants. Cette tendance va prendre beaucoup d'ampleur, car de nouvelles recherches vantant les mérites de la biophilie au travail sont régulièrement publiées et les projets basés sur le WELL Building Standard deviennent de plus en plus fréquents.

Les bureaux verts de demain prendront en compte divers facteurs clés reconnus pour leurs influences positives sur le potentiel humain dans l'environnement bâti. Ces facteurs ne reposent pas uniquement sur les principes essentiels de l'hypothèse biophilique, mais également sur les critères de la WELL Building Standard. Voici donc les caractéristiques communes entre la certification WELL et la biophilie :
- Lumière/ design à lumière circadienne
- Bien-être psychologique/ connexion visuelle avec la nature
- Confort/ formes et motifs biomorphiques
- Eau/ présence d'eau
- Confort/ masquage sonore
- Air/ confort et régulation thermique
Depuis son lancement en octobre 2014, le nombre de bâtiments ayant candidaté pour la certification WELL ne cesse de croître manière exponentielle, ce qui est signe de progrès. Les entreprises ont encore beaucoup à accomplir avant d'offrir des environnements de travail réellement bénéfiques pour leurs employés, mais le chemin vers un futur biophilique a enfin été tracé. Les petites et grandes entreprises commencent ainsi à s'apercevoir des avantages d'un futur où l'environnement de travail agit comme catalyseur pour l'optimisation de ses occupants, menant à des résultats quantifiables et finalement à des bénéfices plus importants.
Mais à quoi ressemble ce nouvel habitat intérieur lorsqu'il est entièrement optimisé ? À une époque où nous nous retranchons de plus en plus dans l'environnement bâti, cette question fait toujours l'objet d'études. Nous avons cependant déjà une idée générale des éléments nécessaires pour créer un nouvel habitat naturel optimisé pour les hommes.
Faire entrer les grands espaces à l'intérieur
Imaginez un espace de bureau regorgeant d’une multitude de plantes et d'éléments naturels (biophilie architecture). Même si ce n'est pas une balade dans les bois, votre cerveau le perçoit plus ou moins de la même manière. Le nouvel habitat naturel va ainsi incorporer la nature, et à haut dosage, pour faire face à l'une des principales sources de sous-performance des employés. Ces éléments naturels d'intérieur (plantes, pierres, bois, etc.) stimulent ainsi notre désir biologique de contact avec la nature et donnent des résultats presque instantanés.
Dans une étude norvégienne effectuée en 1995-96, les chercheurs se sont penchés sur les employés de bureau travaillant dans des environnements avec et sans plantes. Chez les employés exposés aux plantes pendant leurs journées de travail, il a ainsi été constaté une baisse 24 à 37 % des symptômes affectant la membrane muqueuse (toux, gorge sèche et irritations oculaires) et de 23% des problèmes d'irritations cutanées, mais également une augmentation globale de la qualité de l'air.
Si les bienfaits physiologiques des plantes sur le lieu de travail sont conséquents, les résultats les plus impressionnants proviennent des études sur l'impact psychologique de la végétation. La présence de plantes et d'éléments naturels sur le lieu de travail mène ainsi aux observations suivantes :
- réduction globale du niveau de stress
- amélioration de l'humeur
- amélioration de l'attention et de la concentration
- baisse de la fatigue mentale
- amélioration des performances cognitives pour effectuer les tâches
- réduction de la perception de la douleur dans les établissements de soins

Ajouter des plantes et des éléments naturels aux espaces permet ainsi de traiter les problèmes de sous-performance.
La nature imite la nature
Avez-vous déjà vu des photographies de la cathédrale de Chartres ? Les maçons et architectes qui ont construit cet édifice, et bien d'autres merveilles du monde, respectaient la devise suivante : « En haut, comme en bas. » Cela signifie que sur terre, dans leur architecture, ils essayaient de recréer les merveilles mathématiques des étoiles et du ciel. La même idée s'applique au design biophilique, car il utilise la nature comme cadre architectural pour tisser des motifs et des formes naturelles dans l'environnement bâti, renforçant ainsi la connexion des hommes et de la nature.
D'un point de vue architectural, le meilleur moyen de comprendre le design biophilique (biophilie architecture) est de le considérer comme un éventail de possibilités. Il existe ainsi de nombreux principes de design différents qui permettent aux designers et architectes d'acquérir des compétences biophiliques. Voici certains des cadres de design les plus populaires :
Connexion visuelle avec la nature – établissez une connexion psychologique et physiologique entre les humains et la nature via une exposition ou une expérience directe.
Connexion non visuelle avec la nature – ce principe de design utilise les cinq sens pour créer une expérience indirecte avec la nature en intégrant des textures, des formes et des motifs naturels.
Formes et motifs biomorphiques – ce design apparaît souvent à travers des figures fractales, des motifs répétés ou des formes existant à l'état naturel. Il est ainsi utilisé pour la conception de murs ou de sols inspirés par la nature.
Éclairage dynamique et diffus – il s'agit ici d'utiliser un éclairage naturel grâce à des fenêtres ou des puits de lumière au plafond, afin de renforcer la connexion avec les rythmes naturels du jour et de la nuit. Ce design utilise l'éclairage pour correspondre au rythme circadien naturel.

Exemple architectural de formes et motifs biomorphiques.

Le design biophilique utilise la nature comme cadre architectural pour tisser des motifs et des formes naturelles dans l'environnement bâti.
Place à la lumière
L'un des éléments essentiels du nouvel habitat naturel est l'accès à la lumière naturelle. Cela signifie avoir plus de fenêtres, de puits de lumière et de systèmes d'éclairages professionnels qui minimisent les perturbations du rythme circadien. Les architectes et entrepreneurs sont bien conscients des avantages d'un bon éclairage pour améliorer l'efficacité énergétique. Mais le secteur du bâtiment a mis du temps à assimiler l'éclairage naturel dans les designs afin d'améliorer la santé et le bien-être des occupants, et ce malgré les recherches suggérant son importance.
Selon un rapport publié par l'entreprise Terrapin Bright Green et intitulé « 14 Patterns of Biophilic Design » (14 caractéristiques du design biophilique), l'objectif de l'éclairage naturel et de sa bonne répartition est d'imiter les changements de couleur naturels de la lumière du soleil. Les personnes exposées aux dispositifs d'éclairage naturel présentent ainsi une baisse des fluctuations de leur température corporelle, une amélioration de leur rythme cardiaque et une optimisation de leur rythme circadien pour un meilleur sommeil.
Ce rapport poursuit en expliquant les effets de l'éclairage sur les réserves de neurotransmetteurs naturels du corps, et réitère l'importance de la sérotonine et de la mélatonine sur le corps humain. Ces effets sont significatifs et peuvent être sévèrement perturbés lorsque l'éclairage n'est pas pris en compte. En introduisant un éclairage dynamique et diffus, les occupants peuvent ainsi s'attendre à :
- un rétablissement du niveau des neurotransmetteurs
- une amélioration de l'humeur
- une réduction des fluctuations de l'humeur
- une vigilance accrue
- une réduction du risque de dépression
- une réduction du risque de cancer

Dans les bâtiments, l'éclairage naturel provoque chez les employés une baisse des fluctuations de la température corporelle, une amélioration du rythme cardiaque et une optimisation du rythme circadien pour un meilleur sommeil.
Mouvements et déplacements
Le nouvel habitat naturel n'est pas un concept exclusivement lié au design biophilique. En effet, si bon nombre des principes fondamentaux de la biophilie et de la certification WELL Building Standard sont similaires, cette dernière souligne l’importance des déplacements et de l’activité physique. L'idée de rendre le lieu de travail plus porté vers l'amélioration de la condition physique a ainsi pour objectif de répondre à un besoin génétique, et non de faire des économies sur les soins de santé, même si les deux motivations peuvent être défendues. En effet, l'homme a été génétiquement conçu pour le mouvement, comme le prouvent notre musculature et notre squelette. Nous ne sommes donc pas faits pour rester assis 8 heures par jour à fixer un écran d'ordinateur.
Pour contrebalancer les risques de cette nouvelle réalité du lieu de travail, les entreprises deviennent ainsi des championnes de la condition physique. Afin d'encourager l'activité physique, les entreprises vont jusqu'à créer des salles de sport et de musculation, construire des structures (escaliers, chemins pour piétons, parcours de course à pied), et même établir des bureaux proches de magasins et de restaurants pour encourager la marche.
L'importance de ces initiatives ne peut être sous-estimée. Comme le soulignent ces statistiques publiées par le WELL Building Standard, les niveaux d'inactivité physiques ne cessent d'augmenter en Amérique du Nord :
- sédentaire : 38,6 %
- aucun exercice régulier : 60 %
- exercice insuffisant (pour le résultat souhaité) : 80 %

Pour encourager l'activité physique, les entreprises vont jusqu'à créer des salles de sport ou construire des structures telles que des escaliers, des chemins pour piétons et des parcours de course à pied.
Inspirer, expirer
Pendant la plus grande partie de notre histoire, les bâtiments étaient construits à l'aide de matériaux simples tels que de la pierre, du bois, des briques, du mortier et de l'argile. Ces matériaux ne représentaient aucune menace pour le corps humain, c'est pourquoi beaucoup d'entre eux sont toujours utilisés aujourd'hui. Mais avec l'avènement des plastiques, isolants et autres matériaux de construction modernes, c'est la qualité de l'air qui est désormais menacée. Il existe ainsi une longue liste de matériaux de construction ordinaires dont le caractère cancérigène est prouvé, et que l'on retrouve dans des bâtiments récents et anciens. En voici quelques exemples :
- polychlorure de vinyle (PVC)
- polyuréthane
- composés perfluorés
- plomb et mercure
- cadmium, chrome et antimoine
- bisphénol A
Les techniques de construction, matériaux et systèmes de ventilation deviennent de plus en plus sophistiqués chaque année, ce qui impacte positivement l'environnement de travail. Pour les occupants d'anciens bâtiments équipés de systèmes obsolètes de ventilation et construits avec de vieux matériaux, la pollution de l'air demeure cependant une préoccupation permanente. Dans le nouvel habitat naturel, l'air doit être de la meilleure qualité possible et des seuils de performance sont nécessaires pour contrôler sa qualité. Ce système est actuellement utilisé et les entreprises doivent le respecter pour recevoir la certification WELL Building.

Chaque année, les techniques de construction, matériaux et systèmes de ventilation deviennent de plus en plus sophistiqués, ce qui impacte positivement les environnements de travail.
Alors que nous continuons d'évoluer et de nous adapter à notre environnement en perpétuelle mutation, nous sommes constamment à la recherche de nouvelles manières d'améliorer nos situations. Avec de la créativité, de l'ingéniosité et du bon sens, nous avançons toutes voiles dehors vers un futur où les environnements de travail s'adapteront à leurs occupants, et où la durabilité, la nature, l'architecture, la technologie et les sciences neurologiques seront toutes interconnectées. L’application du design biophilique et du WELL Building Standard permettront ainsi de créer un nouvel habitat naturel qui s'associe avec ses occupants pour créer un meilleur environnement professionnel.